Les colons, français en particulier, ont introduit le Carnaval aux Caraïbes au 18ème siècle. Ils multipliaient les fêtes à partir de Noël, avant les privations du Carême. Le point culminant était donc le « Mardi Gras », dernier jour où l’on pouvait consommer de la viande jusqu’à Pâques. Tiens ! viande en italien se dit “carnevale » (littéralement “lever la viande”)…
Chaque année, ces colons plutôt aisés se rendaient en « équipages » chez les uns et chez les autres, accompagnés d’orchestres, paradant dans leurs plus beaux atours.
Pendant leur absence, les esclaves noirs “défilaient” eux aussi, en singeant leurs maîtres ! Ils se couvraient de farine blanche et se costumaient de bric et de broc.
De nos jours, le Carnaval a la même signification paradoxale et symbolique pour les anciens esclaves : la vie est un mensonge et le Carnaval, pendant quelques jours, est la réalité dans cet univers d’illusions. Il permet d’oublier les problèmes ou les horreurs de la vie dans le délire, les plaisirs et la poésie, en tournant le quotidien, la politique ou la morale en dérision.
Il a donc toujours lieu chaque année malgré, par exemple, la guerre du Golfe en 1991, malgré les crises pétrolières, malgré la défection partielle des touristes, ou, par exemple, à Trinidad et Tobago en 1990, malgré une tentative sanglante et échouée de coup d’état islamique, au mois de juillet précédent…
Pour parenthèse : le Carnaval aux Caraïbes a toujours lieu parce qu’il est un exutoire, alors que les carnavals européens peuvent être aisément annulés en cas de crise car ils ne sont plus que des spectacles pour touristes (à quelques exceptions notables toutefois comme ceux de Dunkerque, Binche, Tenerife, Venise et d’autres sans doute).
Revenons aux Caraïbes. Chaque année, arrive le choc qu’il faut avoir vécu : le soir du Mardi gras, au douzième coup de minuit, les lumières s’éteignent, la musique se tait : tout s’interrompt brutalement. Carnaval disparaît à cet instant même… Et chacun commence déjà à réfléchir au costume qu’il portera l’année suivante… Même si ces costumes coûtent cher, parfois dessinés par un créateur, sur un thème choisi pendant des mois. Et leur prix pourront donc représenter des privations importantes pour celles et ceux qui les portent. Mais qu’importe !
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Cela dit, les Carnavals Caraïbes ne sont tout de même pas une exception.
Il y a évidemment celui du Brésil, patrie de la fête, de la musique et de la sensualité. Et ça n’est pas tout neuf ! On pense Brésil ? On pense d’abord samba, bossa nova, carnaval… images déjà transportées par le film Orfeu Negro en 1959 !
Même si certains prétendent pourtant, sans doute pas à tord, que pour l’aider à supporter son sort, on offre au peuple le Carnaval et le football… Et il n’y a pas que celui de Rio. On peut en citer des plus “petits” mais qui, pour l’ambiance, n’ont rien à lui envier (nous avons participé à certains) : Salvador de Bahia, Fortaleza, Florianopolis ou même Valparaíso (d’ailleurs, ”Paraíso”, en espagnol, ça veut dire “Paradis » : c’est mérité).
Et bien d’autres pays ont aussi leur Carnavals : l’Argentine et ses Murgas de Buenos Aires. Cette tradition a débuté déjà avec humour et sens de la dérision dans les années 20, où des dizaines de quartiers de la capitale ont décidé de s’affronter en musique, issues de l’héritage noir, et en joyeuse folie. Tradition qui a résisté aux interdictions des multiples dictatures : on vous dit, les “vrais” Carnavals ont toujours lieu !
En Bolivie même ! Oruro, par exemple, considérée comme la « capitale folklorique » du pays a été déclarée par l’Unesco « Patrimoine Culturel Intangible de l’Humanité”.
Notre guide à Oruro s’appelait Juan Carlos. C’était un personnage lunaire plein d’humour, tout à coup passionné et l’instant d’après totalement absent (dans quelle pensée ?). Une exception toutefois : sur le Carnaval, où on ne pouvait pas l’arrêter ! Il nous en a même offert à l’époque une photo à mettre sur le site : la voilà.
Entre deux “Charquekan”, on faisait la fête. (le “Charquekan”, on a goûté : c’est de la viande de lama, effilée et déshydratée, servie sur du mote (grains de maïs cuits), des pommes de terre et des œufs durs, à laquelle une sauce, dont nous ignorons tout, redonne vie. Et bien c’est absolument délicieux !).
Bref, Juan Carlos nous expliquait : le Carnaval à Oruro (comme les autres, mais faut pas lui dire !), fusionne rites sacrificiels ou d’adoration. Il y à « Tío de la mina » (l’oncle de la mine, le dieu des profondeurs propriétaire des richesses minérales et vénéré par les mineurs : eh oui, les montagnes d’argent ou d’étain !) ou à la Vierge de « Socavón », la sainte patronne d’Oruro. Et chaque troupe qui va défiler pendant le fête développe son thème : les méfaits de la colonisation espagnole, ou la chute de l’empire Inca, ou singeant des bals de la cour royale rappelant au passage la condition des esclaves noirs. Là aussi !
Les festivités débutent ici le 1er novembre pour se prolonger jusqu’au Carnaval, en février ou mars. Avec ferveur, les habitants vivent cette fête baptisée sur les publicités de la ville «la plus grande et fascinante expression folklorique d’Amérique» !
Cela dit, en 2010 par exemple, l’Unesco a choisi d’en faire le Festival international de la diversité culturelle. Près de 30.000 danseurs et 10.000 musiciens ont participé pendant une dizaine de jours à cette fête où se mêlaient danses, musiques, masques, textiles et broderies… mêlant les croyances, les arts populaires et les mystères médiévaux.
Et notre « guide » nous racontait les légendes, traditions et histoires de la région. Intarissable, vous disait-on. On ne pouvait que le croire quand il nous a dit que des centaines de milliers de personnes y participaient chaque année. D’ailleurs, le Carnaval d’Oruro est par sa taille le 2e Carnaval latino-américain…
Inutile de vous dire que Juan Carlos est devenu un ami ! Nous continuons de correspondre avec lui depuis 15 ans !
Et d’autres pays encore. N’oublions pas que Monsieur Gingras s’est toujours occupé des sports d’hiver au Canada. Et bien il a prit part à l’organisation des Carnavals de Québec de 1923 et 1924 (vous voyez, on a travaillé notre sujet !)
Nous disions que les Carnavals européens, spectacles pour touristes, disparaissaient à la première occasion. Soyons honnêtes, c’étaient exagéré de dire ça.
Regardez en ce moment de Covid, les Carnavals ont l’air d’être annulés. Que nenni ! La preuve, on a le droit de porter tout le temps un masque…
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Bon, revenons aux Caraïbes pour avoir confirmation qu’Haïti, bien sûr, n’échappe pas à la règle. L’Haitien s’allège du poids de la contrainte en priant, en chantant, en riant, en dansant. Il se décrète volontiers “Roi de tous les carnavals qui abolissent toute servitude”.
Le Carnaval de Port-aux-Prince se déroule à travers toute la ville et culmine par le défilé final sur le Champs de Mars.
Ce “Champs de Mars” est donc le coeur de la ville où se déroulent la plupart des grandes manifestations du pays, le quartier le plus touristique de la capitale.
Il constitue une immense esplanade, mais s’appelle réellement la “Place des Héros de l’Indépendance”. S’y trouvait le Palais National avant qu’il ne soit totalement détruit par le tremblement de terre de 2010.
Face au palais, François Duvalier,dit Papa Doc, a fait ériger en 1968 la statue en bronze du « Marron Inconnu”, l’esclave qui s’est révolté (le “Marron”) et a brisé ses chaînes, appelle ses compagnons d’infortune à la révolte en soufflant dans une coquille de lambi (grand mollusque marin).
En différents points de l’esplanade, les statues des héros haïtiens montent la garde, en grande tenue militaire de généraux révolutionnaires français : Toussaint-Louverture, Dessalines, Pétion… (Il n’y a pas celle de Papa Doc !).
C’est à proximité que se trouve par exemple l’hôtel Oloffson…
Il s’agit d’une bâtisse d’architecture « gingerbread » (littéralement « pain d’épice »).
Dans le Guide bleu Hachette, Geo écrivait en 1990 :
“coup de coeur : un endroit mythique, en particulier depuis « Les comédiens » de Graham Greene ; on y rencontre toujours son « Petit Pierre », Aubelin Jolicoeur, figure de la vie mondaine haïtienne (que Geo a bien connu) et qui est décédé en 2005.
L’hôtel est depuis toujours le lieu de rencontre de l’intelligentsia et d’artistes du monde entier. Très belle maison de style Gingerbread dans un jardin tropical. Expositions d’art, soirées folkloriques lundis et vendredis, troupe de danse Oloffson, atelier de drapeaux vaudou. A noter une nouvelle et jeune direction arrivée récemment à la tête de ce superbe hôtel : pour rajeunir son âme ?”.
En plus de Graham Greene, Mick Jagger y a aussi une suite à son nom.
Et regardez cette étonnante coïncidence : nous publions ce billet aujourd’hui, alors que nous sommes le 16 février 2021 : c’est Mardi gras, donc Carnaval !
Par ailleurs, nous reprenons notre Tour du monde de cinéma itinérant (takalire le billet ci-dessous “Nous repartons !” du 15 août 2020), le jour du départ de Bab en retraite : le 1er mars 2022 (dans à peine un an). Et ce sera le jour du Mardi gras, donc le final du Carnaval.
La vie est bien faite, non ?
Geo a donc décidé d’offrir à Bab, pour ce soir-là, une chambre à l’Oloffson. Nous espérons que la suite Graham Greene sera libre. C’est mérité, non ?
PS : Carnaval peut s’écrire avec une minuscule. C’est par respect que l’on a choisi la majuscule…